Deuxième intervention d’ A. Tsipras devant le Parlement Européen
Je pense que cette réunion aurait dû avoir lieu il y a bien longtemps. Parce que notre débat d’aujourd’hui, concerne non seulement l’avenir de la Grèce mais aussi celui de la zone euro.
Et en effet, ce débat ne doit pas se faire à huis clos, mais cette responsabilité ne nous appartient pas.
Pendant cinq mois, la négociation a été menée derrière des portes fermées. Son déroulement et son aboutissement constitue pourtant une question hautement politique. Et nous l’avons constaté aujourd’hui, à l’occasion de ce débat riche et fructueux. Par les confrontations qui ont eu lieu et qui n’avaient pas le caractère des confrontations étatiques au sein de la zone euro, mais plutôt un caractère profondément politique et idéologique. Et je respecte vraiment toutes les opinions qui ont été entendues, même celles qui ont été exprimées en utilisant une rhétorique hautement polémique.
Je tiens aussi à dire que je suis entièrement d’accord avec l’interpellation exprimée précédemment sur la nécessité du renforcement du rôle du Parlement Européen. Parce que je me demande, comment pouvons-nous habiliter la troïka de prendre des décisions – même si ce pouvoir est en effet légitimement attribué à la Commission et à la BCE, mais il perd sa légitimité quand il est abandonné à la discrétion des fonctionnaires et du FMI – tout en excluant le Parlement Européen, l’institution européenne démocratique par excellence.
Et je voudrais ajouter en toute franchise: Si la négociation a été menée exclusivement entre la Grèce et la Commission européenne, une solution et un accord auraient été trouvés depuis très longtemps.
Malheureusement ou heureusement, nous avons eu à mener un processus de négociation – Veuillez écouter les arguments et vous pouvez après les réfuter – en étant obligés de parler, nous, le gouvernement grec, avec trois institutions différentes qui avaient souvent des positions et des propositions divergentes et contradictoires. La réalité est celle–là .
Je voudrais maintenant aborder le fond du problème et répondre à certaines questions soulevées lors du débat.
Première question: Si la partie grecque a présenté des propositions fiables ou non, vous jugerez vous mêmes. La partie grecque a présenté des propositions. Elle a présenté un texte de 47 pages qui était l’aboutissement – et non pas nos propres positions – d’un processus de négociation difficile et ardu. Malheureusement une fausse image des négociations a été véhiculée et la partie grecque a été accusée de ne pas avoir déposé des propositions.
Lundi dernier, la partie grecque est retournée avec un texte de nouvelles propositions crédibles , qui a été accepté comme base de discussion par les trois institutions. Lundi dernier. Avec ces propositions, nous nous sommes engagés d’atteindre les objectifs budgétaires exigés par les règles, parce que nous reconnaissons et respectons les règles de la zone euro. Cependant, nous nous réservons le droit de décider, de décider en tant que gouvernement souverain, où trouver des ressources et où placer le fardeau fiscal, afin d’atteindre les objectifs budgétaires exigés.
Et je pense vraiment qu’il s’agit d’un droit souverain d’un gouvernement, le choix d’augmenter les impôts des entreprises rentables et de ne pas supprimer l’allocation accordée aux retraites les plus faibles (EKAS) pour atteindre ses objectifs budgétaires. Si ce droit – du choix des mesures compensatoires pour atteindre les objectifs requis – n’appartient plus à un gouvernement souverain, alors, nous optons pour une approche extrême et antidémocratique, et les pays qui participent à un programme d’aide ne devraient plus avoir des élections mais des gouvernements nommés et des technocrates pour prendre la responsabilité des décisions.
Par ailleurs, j’admets que vous avez raison de demander l’élimination de certaines déviations grecques qui puisent leur source dans le passé, comme celle des retraites anticipées. Et nous avons été les premiers à déclarer – sans attendre des ordres extérieurs – que la situation financière désastreuse du pays exige leur suppression.
Nous approuvons donc la nécessité des réformes, et nos engagements pour atteindre l’ajustement budgétaire nécessaire sont réels. Nous maintenons cependant, le droit de choisir librement les mesures de redistribution des charges fiscales, et sur ce point vous devez être certainement d’accord.
Mesdames et Messieurs les députés,
Une autre question a été aussi posée : «Avez-vous un plan secret pour sortir la Grèce de la zone euro? ». Je vais vous répondre simplement: Toute la semaine dernière, la grande majorité des déclarations des responsables politiques européens portait sur la sortie automatique de la Grèce de l’euro, après une victoire du «non» lors du référendum. Les citoyens qui sont allés aux urnes avaient entendu cela.
Et pourtant, le résultat était contre les attentes de certains. Si j’avais l’intention de faire sortir la Grèce de l’euro, je n’aurais pas déclaré immédiatement après la clôture du scrutin que j’interprétais les résultats du référendum, non pas comme un mandat de rupture avec l’Europe, mais comme une consolidation du pouvoir gouvernemental et de son mandat de négociation pour atteindre un meilleur accord. Un accord plus crédible. Un accord économiquement viable et socialement équitable. Tel est l’objectif (du gouvernement). Je n’ai pas un autre agenda caché. Et je parle sincèrement.
J’ai entendu nombreux d’entre vous – et surtout ceux qui ont exprimé une critique forte en utilisant des termes polémiques – parler de notre incapacité à répondre à la solidarité des partenaires européens. Je voudrais répondre en reconnaissant tout d’abord que le prêt est certainement une forme de solidarité. Aucun doute là dessus. Mais nous, si nous souhaitons un programme viable, c’est justement pour pouvoir être en mesure de rembourser nos prêts. Et lorsque nous demandons une diminution de la dette, c’est justement pour être en mesure de rembourser et ne plus être obligés de contracter constamment de nouveaux prêts pour rembourser les plus anciens.
Et je voudrais vous rappeler, M. Weber, que le moment le plus fort de la solidarité dans l’histoire européenne moderne, était en 1953, lorsque votre pays est sorti surendetté et dévasté après deux guerres mondiales. Et l’Europe et les citoyens européens ont fait preuve d’une solidarité sans égal au Sommet de Londres en 1953, quand ils ont décidé de supprimer 60% de la dette de l’Allemagne, et d’accorder l’instauration d’ une clause de développement. Ce fut le moment le plus important de la solidarité dans l’histoire européenne moderne.
J’ai aussi entendu mon ami Guy Verhofstadt – l’année dernière, nous étions tous les deux candidats à la présidence de la Commission Européenne et nous nous connaissons bien – douter de notre capacité de mener des réformes et demander le bilan de notre action.
Je réponds: En effet, ces cinq mois nous avons plus négocié que gouverné. Dans les conditions imposées par l’asphyxie financière notre préoccupation, notre pensée, nos efforts se concentrent sur le maintien en vie de l’économie grecque. Cependant, nous avons réussi à réaliser certaines choses, mon cher ami Guy :
C’est nous qui avons ouvert la célèbre liste Lagarde après trois ans pendant lesquels certains ministres des gouvernements précédents la gardaient dans leur tiroir.
Et nous sommes ceux qui ont voulu et réussi à traduire en justice plusieurs fraudeurs fiscaux. Les gouvernements précédents ne l’ont pas fait.
Nous sommes aussi ceux qui ont conclu un accord avec la Suisse afin de pouvoir imposer les personnes qui ont transféré leur argent à l’étranger.
Nous sommes ceux qui ont légiféré pour limiter les transactions triangulaires. Aucun des gouvernements précédents ne l’avait fait.
Nous sommes ceux qui ont demandé aux propriétaires des médias grecs de payer leurs impôts. Aucun des gouvernements précédents ne l’avait fait.
Nous sommes ceux qui ont renforcé les contrôles douaniers pour frapper la contrebande.
Bien sûr nous devons faire plus mais nous n’avons pas eu encore le temps pour le faire. Et nous demandons votre soutien pour pouvoir changer la Grèce. Il est de notre responsabilité commune ce changement et nous serons jugés sur cette capacité.
Je voudrais, en concluant, vous dire que tout le monde se rend compte que ce débat ne concerne pas exclusivement un pays. Il concerne l’avenir de notre édifice commun, de la zone euro et de l’Europe. Et là se heurtent deux stratégies diamétralement opposées quant à l’avenir de l’intégration européenne. Prenons donc – tous – nos responsabilités.
Le gouvernement grec – et je tiens à le dire – malgré les différences idéologiques qui le séparent (de ses adversaires politiques) à l’intérieur du pays, à ce moment crucial, a jugé utile la synergie de toutes les forces. Et hier, toutes les forces politiques (grecques) se sont trouvées à la même table et autour du Président de la République pour se mettre d’accord sur la fixation d’ un cadre d’objectifs.* Et sur la base de ce cadre, nous présenterons à nouveau demain, des propositions concrètes pour un accord viable et équitable avec de réformes crédibles.
Je voudrais aussi ajouter une dernière remarque. Plusieurs sont ceux qui se sont référés à la tragédie antique grecque pendant les débats. Je respecte pleinement les lois qui régissent l’UE et la zone euro. Les lois sont nécessaires pour avancer.
Mais puisque vous avez mentionné la tragédie grecque je rappelle que Sophocle, nous a appris avec son chef-d’œuvre «Antigone», qu’il y a des moments où la loi supérieure de la justice doit l’emporter sur les lois humaines.
Et je pense que le moment actuel l’exige aussi.