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28 juillet 2012 6 28 /07 /juillet /2012 15:11

 

 

 

Des inorganisés aux indignés



Qui se souvient des étudiants, des infirmières ou encore des cheminots c'est-à-dire de tous ces « inorganisés» des années quatre vingt, de leurs coordinations et de leurs manifestations? Ces mobilisations avaient réussi, dans la deuxiéme partie de la décennie 80, à fédérer des publics non syndiqués (et notamment les plus jeunes, des jeunes femmes...) plutôt éloignés des instances revendicatives de lutte plus institutionnalisées. Leur médiatisation était justement, de la part du prêt à penser « moderne)}, l'occasion de stigmatiser le syndicalisme et plus précisément le supposé archaïsme du mouvement ouvrier, d'où la survalorisation médiatique, à l'époque, de la Coordination Nationale des Agents de Conduite (mobilisation hétérogène politiquement et homogène professionnellement) au détriment de la Coordination Nationale Inter Catégorielle (mobilisation homogène politiquement et hétérogène professionnellement). Selon leur vielle habitude de " mettre du vin nouveau dans des vieilles outres", les médias avaient pu alors contribuer à la construction, puis à la déconstruction de fortes mobilisations préfigurant pourtant le mouvement social de 1995.


Quel est le rapport avec les indignés d'aujourd'hui, quelles lectures pouvons-nous faire du phénomène mais surtout: dans quelle mesure la mondialisation d'une colère ne peut-elle pas contenir en germe ou potentiellement la dynamique d'un mouvement transnational témoignant d'un même refus et d'espoirs partagés?


Dans un monde du travail syndicalement sinistré, les coordinations des « inorganisés )}, menées souvent par des militants aguerris, pouvaient donner l'espoir d'apporter un second souffle au syndicalisme ou de le renforcer dans des secteurs professionnels où il était faiblement représentatif. Cela n'a pas été le cas et les raisons de la fracture syndicale inter générationnelle ne semblent pas évoluer positivement: l'image du syndicalisme Français est toujours autant ternie par ses divisions idéologiques, sa faiblesse chronique, son émiettement, des accusations de récupération ou de collaboration, sa difficulté à communiquer, mais aussi à faire face à la répression patronale.. .et surtout sa désertion des terrains professionnels, source de cécité et de bureaucratismes (le concept étant de Giovanni Busino).

Par contre, les coordinations ont orchestré des nouvelles stratégies de «monstration» (définies par Michel Maffesoli comme des représentations, des théâtralisations se produisant dans l'instant et la recréation d'un nous tribal) Les corps des manifestants jouent, par exemple, un rôle de plus en plus symbolique, comme ressource, dans la pénétration des terrains médiatiques. Leùr nudité ou leur déguisement sont de plus en plus sollicités et manifestent de plus en plus cette imaginaire créatif propre à l'esprit insurrectionnel. Cette dimension est importante car elle nous fait sortir de la vieille alternative cornélienne: occuper l'espace de travail, des locaux ou prendre possession des rues. Il importe désormais d'articuler la visibilité de la manifestation et de ses acteurs avec le symbolisme de leur cadre qui compte.


Nous pouvons l'observer dans les luttes locales à teneur altermondialiste. Kalle Lasnn, des USA, aura ainsi inspiré l'idée d'occuper Wall Street, en septembre dernier, en déclarant que les USA ont besoin de leur propre place Tahrir». Plus récemment des militants associatifs (membres de l'APEIS, du MNCP et d'AC) ont fait irruption au restaurant du Fouquet's avant de se faire embarquer par la police. Il s'agissait, pour eux, d'interpeller leurs « camarades de la brasserie populaire du Fouquet's )} pour souhaiter un bon appétit, leur rappeler, avec humour, toute leur indignité à n'être qu'une bande de « fainéants, d'assistés, de parasites et de fraudeurs )}, leur soutien moral car « le plus pauvre doit toujours se porter au secours du plus riche)} etc... Cette initiative était simplement là pour nous rappeler avec Mark Anspach que « sur l'autel du marché, les victimes sont anonymes». Pour que le mouvement transnational puisse prendre son envol, il lui faut ainsi opposer à la seule logique du profit celles de la vie et de la défense des plus précaires, des nouveaux exclus.

Les plus récentes mobilisations sont aussi l'occasion d'attester une profonde transformation de l'espace du mouvement sociétal qui compose de réseaux permettant (notamment avec internet) plus de fluidité, de réactivité et de réflexivité dans les luttes. Cet aspect est à prendre en compte pour l' « allumage» de l'action car il faut toujours un élément déclencheur en plus des motifs d'insatisfaction et des conditions habilitantes indispensables pour le passage à l'acte. Or les raisons de se mettre en mouvement ne manquent pas et elles convergent pour le remplacement d'un système traversé par les seules valeurs matérielles et financières. Les seules certitudes à avoir, dans ce domaine, résidant dans le caractère imprévisible de leur irruption et leur indispensable médiatisation, les militants altermondialistes ne peuvent pas aujourd'hui prévoir, de maniére sûre, le cadre spatio-temporel susceptible de permettre à leur mouvement de réaliser un saut à la fois quantitatif et qualitatif.

Les grilles sociologiques habituelles ont leur utilité pour dessiner la morphologie d'un mouvement sociétal, pour mieux les définir, mais elles tendent toutes à oublier une donnée pourtant élémentaire: un mouvement social ne devient sociétal (ou transnational) qu'à partir du moment où la peur (liée du côté des individus aux risques de déclassement, de précarité, de désaffiliation (selon le terme de Robert Castel) ou encore de mort sociale, change de camp (et donc passe chez tous ceux qui s'enrichissent considérablement par le biais d'un système néolibéral producteur de déchets humains (l'expression étant de Zygmunt Bauman). Il conviendrait de rapidement en finir avec tous ces « idiots sociaux)} qui n'en ont jamais assez et en voudront toujours plus: sont-ils d'ailleurs uniquement dans les marchés financiers et le monde la grande entreprise.
Les actuels aveuglements et obsessions sécuritaires, qui ont récemment conduit à brutalement réprimer de jeunes militants et à emprisonner l'un d'entre eux durant six mois sans l'ombre d'une preuve d'avoir commis un délit (ici un sabotage), sont là pour nous montrer que leurs « clignotants» fonctionnent plutôt et que les représentants institutionnels, du 1 % le plus vorace (l'évaluation étant de l'économiste Jeff Madrick), ne pourront enrayer cette révolte mondialisée d'indignés de moins en moins inorganisés. Il ne faut toutefois pas trop sous-estimer un rapport de forces encore bien inégal !...


Je souhaite conclure cet article par cette illustration de Jean Ziegler: ''''Sur un même ring de boxe sont réunis M1ke Tyson et. le champion en titre des poids lourds et un chômeur du Bengali sous-alimenté. Que disent les ayatollahs du dogme .néo libéral ? Justice sera assurée puisque les gants de boxe des deux protagonistes sont de même facture. le temps du combat égal pour eux. l'espace de l'affrontement unique, et les règles du jeux constantes.Alors que le meilleur gagne! L'arbitre impartial c'est le marché .L'absurdité du dogme nèolibéral saute aux yeux." (Et aussi sa brutalité couplée au cynisme



Jean-Yves CAUSER

Sociologue



Au format PDF

























































 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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